Inassouvies, nos vies
« Elle s'interrogeait : qu'est-ce qui différencie ou caractérise ces cubes, ces carrés, ces rectangles, ces losanges, ces cavités, toutes ces innombrables fantaisies architecturales réunies sous le vocable habitations ? En dehors de leur forme, qu'est-ce qui en fait des demeures et non des sépultures ? Vivre, ça couvre quelle superficie ? Quel sens donne-t-on à ce verbe, au point de lui réserver des lieux ? Les bureaux et les usines seraient-ils des lieux de mort ?
Et puis, parce que vivre c'est survivre à quelqu'un ou à quelque chose, à qui, à quoi renonçons-nous, humblement défaits ou dignement amputés, mais toujours inassouvis ? Betty avait pris sa décision : elle saurait quelles existences se cachaient derrière les fenêtres d'en face. L'obsession était née et installée en elle. Elle ne fit rien pour s'en distraire, au contraire, elle l'entretenait, comme un feu de bois par mauvais temps, minutieusement, patiemment.
Elle allait s'imbiber de la vie des autres, ignorant qu'elle y serait bientôt engloutie. »