De prime abord, les Ennéades de Plotin troublent tout projet de lecture
méthodique. La profusion des analyses, la richesse des aperçus, la
teneur métaphysique de l'ensemble en font une somme qui suscite
parfois un sentiment d'«inquiétante étrangeté».
Peu à peu se dessine pourtant, d'un paragraphe à l'autre, d'un traité
à l'autre, l'architecture secrète de l'oeuvre. Tout s'ordonne autour
d'une seule interrogation déclinée à l'infini : l'être se dit-il, oui ou non,
en un seul sens ? Et le lecteur, qui aperçoit, directement ou en filigrane,
ce fil d'Ariane, est soudain frappé de stupeur devant la précision et
la finesse des analyses. Non seulement il assiste alors à la plus
formidable entreprise de déconstruction des thèses platoniciennes ou
aristotéliciennes, mais il pressent que la force subversive des Ennéades
pourrait bien mettre en question tout ce qu'il croyait fermement établi.
Dans un temps où l'on invoque à tort et à travers la différence de
l'être et de l'étant, en ignorant ce que cette notion doit à Plotin, c'est
le processus d'émergence et de maturation de la différence ontologique
dans les Ennéades que ce travail tente de reconstituer ; ce qui en fait
une introduction doublement éclairante.