Cher Ali Abdul Wahab,
Non, je ne serai pas votre épouse.
Devant vous, j'ai baissé les yeux,
déposé les armes, mais vous
voulez plus.
Vous voulez mes ongles et mes
poings. Ils sont à moi, ils sont
secs, sales, sourds ; ils serrent les
rênes de mon cheval et me
servent à dévorer l'espace.
Ali, je préfère le burnous à la
jupe. Les dunes au foyer
domestique. Je les préfère d'un
amour obscur et mystérieux.
Merci pour l'argent, avec lequel
je m'achèterai une monture. Je
pars, enfin, rejoindre le désert.
Inshaallah, Ali Abdul Wahab,
nous nous reverrons un jour ; loin
du grand Occident prétentieux,
vengeur, industriel. En cette terre
d'Islam qui est la nôtre.
Votre Isabelle Mahmoud.
Il y a des vies qui sont des romans...
qu'aucun romancier n'oserait écrire par
crainte d'être taxé d'invraisemblance.
Isabelle Eberhardt fut l'un de ces êtres
hors du commun.
Elle vient d'un autre siècle. Née en
1877, elle fut aventurière, sans papiers,
première Européenne soufie, journaliste...
Elle arpenta le désert algérien
vêtue en homme et laissa de nombreux
écrits au style singulier qui prouvent la
parfaite compréhension de sa culture
d'adoption.
En quelques scènes cruciales, Isabelle
100 visages évoque ce destin
exceptionnel. On suit la quête
spirituelle de cette femme énigmatique,
ses excès en tous genres, ses amours
hors norme. Jusqu'au plus profond du
désert algérien, jusqu'au plus grand
dénue-ment.
Entre Orient et Occident, masculin et
féminin, scandale et incandescence, ce
parcours atypique résonne étonnamment
avec les préjugés et les quêtes de
notre temps.