Comment penser la modernité des sociétés africaines contemporaines,
et en particulier celle des régions rurales ? À première vue, les villages retirés
des Kabre (Kabyiè) du Nord-Togo partagent tous les signes extérieurs
d'une culture africaine «isolée» - agriculture de subsistance, cases au
toit de paille, échange de dons, rites des ancêtres et forte présence du
monde des esprits. Dans Isolément global, Charles Piot suggère pourtant
que cette culture locale se révèle profondément globalisée, modelée
par l'histoire coloniale et postcoloniale qui a placé les Kabre au coeur de
l'État togolais. Par une analyse subtile des pratiques quotidiennes et
cérémonielles d'une localité reculée, Piot montre que les caractéristiques
supposées de la «tradition kabre» sont en réalité des produits et des
expressions de la modernité. Il restitue ainsi à la subjectivité des Kabre
toute son historicité. Ce faisant, il offre un nouveau regard sur la société
togolaise dans son rapport à l'ethnicité et sur le fonctionnement d'un État
qui, avec le général Eyadéma, s'est donné à voir dans toute sa violence
et ses rituels comme un État kabre. S'opposant aux théorisations et aux
images stéréotypées du village africain colportées par l'orientalisme,
l'africanisme et le développementalisme des bailleurs de fonds, Isolément
global présente une approche alternative des rapports que les populations
subalternes entretiennent avec la globalisation culturelle. Par-delà sa
dimension monographique, ce livre nourrit une réflexion épistémologique
sur les évolutions de l'anthropologie occidentale et ses penchants
européocentriques.