Jacques Demy
L'enfance retrouvée
À l'origine de ce petit livre, il y a d'abord ce bonheur têtu, non démenti au fil du temps, du spectateur face aux films de Jacques Demy. Selon quels mécanismes singuliers cette oeuvre cinématographique parvient-elle à produire ses effets ? On parlerait de l'univers " en chanté " du cinéaste nantais, bien sûr, on évoquerait aussi cette part d'enfance présente dans l'ouverture aux contes, ou encore les couleurs éclatantes des décors nous arrachant à la grisaille quotidienne. Rien de cela ne serait faux, mais laisserait peut-être passer l'essentiel, à savoir que le cinéma de Jacques Demy détient la capacité de rendre heureux avant tout parce qu'il n'a pas oublié la leçon de Max Ophüls, selon laquelle « Le bonheur n'est pas gai ».
Il ne s'agit pas de tempérer en cela le bonheur, bien au contraire, mais de l'envisager comme bonheur « intégral », c'est-à-dire en n'omettant aucune de ses deux faces, que Walter Benjamin avait mises en évidence : la dimension hymnique du bonheur et sa dimension élégiaque. Or, si le cinéma de Jacques Demy s'avère constituer, profondément, un opérateur de bonheur, c'est que cette dualité du bonheur sera présente à des niveaux multiples dans son oeuvre: du côté du récit, mais aussi de l'enchâssement du récit en images et de la musique, ou encore, du point de vue de l'usage qu'il effectue du médium cinématographique lui-même. L'enfance qui revient sous l'effet de cette oeuvre est celle que produit la remémoration, quand elle parvient à conjoindre les deux côtés qu'on avait longtemps pensé être incommensurables, un peu comme chez Proust, lorsque le narrateur en arrive à concilier les larmes propres au côté de Méséglise avec le soleil caractéristique du côté de Guermantes.