«J'habitais dans la rue, certes, mais je restais la même
femme. Je n'étais pas folle, ni mal élevée, j'avais un peu de
culture et je savais réfléchir, j'étais capable d'échanger des
idées, à plus forte raison des banalités. Mais non, personne
ne désirait bavarder avec moi.
Était-ce parce que j'étais sale ? Mal habillée ? De quoi
avaient peur ceux qui se détournaient, vaguement offusqués ?
Ils vivaient dans un monde et j'en étais exclue, cela suffisait
à empêcher le moindre dialogue. Ils se réveillaient le matin
dans leur lit et prenaient leur café dans la cuisine, je me
réveillais tout habillée sur le trottoir et ne buvais plus jamais
de café, ils descendaient dans la rue pour aller travailler, je
ramassais mes affaires et levais le camp à la recherche d'une
autre rue où m'ennuyer des heures durant. Ils se dépêchaient
déjà, plongés dans l'excitation d'une nouvelle journée qui
commençait, je traînais les pieds, écrasée dès le matin par
l'indigence de ma condition et l'absence de toute perspective.»