Jaurès n'est pas aujourd'hui honoré comme l'authentique
socialiste anticapitaliste et révolutionnaire qu'il fut. Les
«réformistes» du parti socialiste édulcorent depuis longtemps
la vigueur de sa critique du capitalisme et l'audace de sa
conception du socialisme démocratique. Beaucoup ne voient plus
en lui qu'un champion de la justice et un réformiste précurseur
des compromis sociaux-libéraux.
Une relecture «au plus près» des textes de Jaurès permet
d'apporter un éclairage nouveau sur sa pensée politique. Loin d'être
antimarxiste, Jaurès déclare en 1901 avoir été «toujours dirigé par
ce que Marx a nommé magnifiquement l'évolution révolutionnaire».
Cette stratégie consiste à introduire une succession de réformes
anticapitalistes «qui annoncent et préparent la société nouvelle, et
par leur force organique hâtent la disparition du monde ancien».
Les propos révolutionnaires de Jaurès sont souvent interprétés
comme des concessions faites aux «marxistes» pour les rallier
à l'unité du parti socialiste, ou comme des postures adaptées à
l'exercice de l'opposition. En retraçant le parcours intellectuel de
Jaurès, cet essai montre au contraire comment sa pratique des
«réformes révolutionnaires» tend vers un au-delà du capitalisme
et constitue la clé de lecture de tous ses combats pour la République,
la démocratie et le socialisme.