Boire à la source, disait Supervielle pour de
pareilles évocations de souvenirs. Mais quand on
écoute son passé avec suffisamment d'attention,
aussi obscure soit sa vie, on y entend la rumeur
des temps. On peut parier que les événements
personnels puissent révéler les éléments communs
d'une génération : on ne fuit donc pas l'Histoire
ici en tentant de la retrouver au ras des émois. Il
sera question de Colette, du gauchisme à
peine frôlé, de Gide et d'Aragon, d'Allende et
de la décoration intérieure des années 70, des
lapins dans ce qui restait des fermes des aïeux,
de l'enterrement de Neruda et du poids des
cuillers en fer blanc : «Un homme n'est pas fait
que du temps intime, du coeur qui cogne ou bien
se tait.[...] Aussi éloignés semblent-ils à première
vue, le rythme du corps et celui de
l'Histoire forcément se rencontrent, se nouent.
Né sous la neige, donc. En même temps, sous
De Gaulle. Et se comprendre suppose sans doute
qu'on parvienne à relier les fils invisibles d'une
aussi énigmatique conjonction».
O. B.