Ce n'est pas un hasard si Jules Claretie (1840-1913)
a été pendant longtemps l'auteur de la meilleure étude
sur Pétrus Borel. Il partage avec lui son goût du macabre,
de la démesure, du frénétique.
Romancier, journaliste, polygraphe, directeur de la
Comédie française, académicien lui aussi, comme
Richepin, son oeuvre est très inégale.
Jean Mornas qu'il publie en 1885 mérite pourtant
d'échapper à l'oubli tant son héros, ou anti-héros, est
étonnant. Comment, en étant tout d'abord un être sans
histoire, brillant étudiant en médecine et aspirant
homme de lettres, passe-t-on insensiblement du statut
d'honnête homme à celui de criminel.
Au moment même où Nietzsche pose l'équation : Si
dieu est mort, tout est permis, Jules Claretie, à travers
le personnage de Jean Mornas en étudie les conséquences.
Ce même Claretie qui plus tard confiera à Jules
Huret : «L'âge apporte nécessairement une philosophie
qui ressemble, si l'on veut, à une abdication mais qui est
plus rapprochée de la justice.»
Il invente ainsi une figure qui rééquilibre la tendance
fin-de-siècle avec son homme fatal.
Espérons donc que le voeu de Claretie soit exaucé : «Il
semblerait que la littérature est une imprimerie où seuls
compteraient les feuillets fraîchement tirés, quand au
contraire elle doit être une bibliothèque où les oeuvres
passées sont aussi consultées que les oeuvres du jour...»