Obsédé par les fictions qui le terrorisaient dans son enfance,
Jeremy Bentham, le fondateur de l'utilitarisme, n'a eu de cesse
de les combattre. Qu'elles prennent la forme du droit naturel,
du contrat social ou qu'elles revêtent des dehors plus techniques
dans la common law, les fictions du droit n'ont pour autre but
que d'abuser la majorité de la population, d'entraver la délibération
politique et de tromper le justiciable.
Mais la réalisation du plus grand bonheur du plus grand nombre ne
peut se contenter de démystifier l'utilisation aliénante des fictions.
Puisque celles-ci s'avèrent intrinsèquement liées au langage
lui-même, il est nécessaire d'en élucider le fonctionnement.
Philosophie du langage et des symboles raffinée, la théorie des
fictions de Bentham jette alors les fondements de la théorie
analytique des concepts juridiques. À travers un activisme
réformiste qui emprunte la forme de la codification, elle préside
ensuite à l'établissement d'une démocratie radicale dont l'organe
central n'est autre qu'une fiction à la puissance démesurée :
le Tribunal de l'opinion publique.
Aussi, l'oeuvre du philosophe anglais peut-elle être comprise
comme une guerre des mots paradoxale, une lutte qui doit au
langage aussi bien sa cible que ses armes.