« Le camp n'est pas l'enfer par opposition au paradis, c'est le monde de notre existence, et il ne peut en être autrement. »
Varlam Chalamov
Pendant quelques mois, dans les années 1935-1936, Ivan Tchistiakov, gardien d'un camp de prisonniers sur le chantier de la voie ferrée Baïkal-Amour, a tenu son journal. Publié aujourd'hui pour la première fois, c'est l'un des seuls documents de ce genre à nous être parvenus. Le fonctionnement des camps soviétiques est certes bien connu, grâce à la parole des victimes et aux documents amassées par le système bureaucratique, mais l'image des « hommes aux fusils » est encore floue.
Si Ivan Tchistiakov s'est retrouvé à escorter les détenus pendant leur travail garder le camp itinérant, accompagner les convois et poursuivre les fuyards, ce n'est pas de son propre gré. Chaque journée est vouée à un seul désir : sortir par tous les moyens du cauchemar qui l'a happé. Et qu'il ne cesse de décrire : un climat terrible, un logement épouvantable où, la nuit, les cheveux se collent au front à cause du froid, l'impossibilité de se laver, l'absence de nourriture normale, des maladies à répétition.
Le dégoût que lui inspire son travail est évident. Dès les premières pages percent des notes de compassion envers ceux qu'il doit garder. Il perçoit ce qu'un chef, au camp, ne veut pas savoir. On comprend mieux, à le lire, à quel point les camps soviétiques ont fini par incarner un modèle de société.
Les cahiers originaux du journal d'Ivan Tchistiakov se trouvent aux archives de la société Memorial de Moscou, qui, depuis les années 1980, se donne pour tâche de rassembler documents, lettres, témoignages et mémoires liés à l'histoire des répressions politiques en URSS.
On ne sait que très peu de chose sur Ivan Tchistiakov. Il est sans doute né au tout début des années 1900. Moscovite, probablement enseignant dans un institut technique ou ingénieur avant d'intégrer l'administration du Goulag comme gardien, il est mort au front dans la région de Toula, en 1941.