Plus que par sa vigueur, Jules Laforgue surprend par une écriture qui,
non seulement participe des attributs de la littérature actuelle, mais les
annonce. Les ambiguïtés de sa poésie rarement simple, les fulgurants récits
où les mythes confirment et transgressent leurs vagues limites, la précision
de ses essais sur écrivains et artistes, ou les impressions multiples de sa
volumineuse correspondance sur les milieux illustres qu'il connut à partir
d'une proximité privilégiée ou de différentes distances - pas seulement
géographiques - témoignent de la pluralité significative d'une oeuvre qui
continue d'étonner. Son imagination alterne l'observation du quotidien avec
les réflexions d'une pensée critique, les dédoublements d'une ironie lucide
et ludique avec l'écho de voix propres et étrangères, transformant la
linéarité des mots en une aventure littéraire qui entrecroise des espaces
distants et des langages différents. De là l'intérêt à reconnaître les procédés
d'une écriture hybride et libre ou les stratifications humoristiques de son
irrépressible invention verbale, ces curieuses dualités d'une poétique entre
deux langues, entre deux cultures, qui attira l'attention de Mallarmé,
d'Eliot, de Pound, de Joyce et de Borges, entre autres poètes. Ce sont les
traces d'un arrière-pays, d'une vision de l'origine, que les mots révèlent et
que cet essai s'attache à examiner.