Jupiter est l'un des romans les plus troublants et les plus
violents de la littérature allemande de ces dernières années.
Troublant, parce qu'il s'agit moins ici d'homosexualité que de
folie, et violent, moins par les scènes de masochisme que par
le dédoublement constant du narrateur, devenu à la fois son
propre bourreau et l'observateur implacable de ses dérives.
Martin, jeune homosexuel au chômage, rencontre un jour,
dans un bar sordide, un homme qui le recueille, avec lequel
il vit quelque temps, dont il tient la droguerie et promène les
chiens monstrueux. Mais il s'avère assez vite que cet homme,
Jürgen, a commis des actes de pédophilie sur sa propre fille,
et que Martin ne l'a suivi et aimé que parce qu'il a lui-même
été abusé, enfant, par son propre père. L'impossibilité
de sortir du cercle infernal engendré par la relation au père
apparaît dans la clôture vertigineuse du texte, dont
les dernières phrases sont aussi les premières : l'arrestation
du coupable ne répare rien.
Écrit dans une langue dont l'étrangeté calculée intègre pour
les détruire tous les clichés répandus par la presse
et la publicité, Jupiter est aussi, il faut le dire, un roman dont
certains passages sont d'une extrême drôlerie : satire féroce
d'un monde falsifié où la réduction de l'être humain à l'objet
répond à une logique économique omniprésente, où
le langage commercial fait appel au vocabulaire des sentiments,
où tout discours contestataire dégénère en slogans creux.