À la veille de la Première Guerre mondiale, Georg Simmel (1858-1918) revient
sur ce qu'on a depuis appelé le désenchantement du monde, la destruction du
rapport harmonieux qui, à l'âge classique, unissait l'homme à son univers. Le
divorce entre un monde régi par les lois de la mécanique et un individu porteur
d'exigences morales place toute existence sous le signe d'une lutte tragique.
Les noms de Kant et Goethe symbolisent les deux grandes tentatives modernes
pour résoudre ce dilemme : Simmel tente dans ce livre d'évaluer précisément
les proximités et les distances entre les deux approches ; il montre que Kant et
Goethe sont porteurs de projets radicalement différents, le premier accordant
tout au sujet, le second tout à la nature, le premier ne sauvant la cohérence
du projet rationnel qu'en limitant drastiquement son emprise sur le monde, le
second en élargissant l'idée de nature au risque de perdre le sens de la singularité
humaine. Il ne s'agit pourtant pas de choisir entre l'une ou l'autre démarche :
l'art d'hériter consisterait ici à intégrer les deux dans un projet plus ample, où
l'analyse kantienne et la synthèse goethéenne se combineraient dans une pensée
plus proche de la pulsation réelle de la vie.