La mousson venue, les moines méditent les textes sacrés,
mais les coquins, eux, s'en jouent. Le premier propose à ses
compères un concours, dont la règle est la suivante : chacun
doit raconter une aventure qu'il a vécue, si invraisemblable
soit-elle ; le gagnant sera celui dont l'histoire n'a pas d'égale
dans les légendes tirées de la mythologie hindoue.
Ainsi, l'un des coquins vit un jour un village entier échapper
à des voleurs en trouvant refuge dans un concombre, qu'avala
une chèvre, elle-même engloutie par un boa, dévoré à son
tour par une grue qui s'envola... Rien d'étonnant, rétorquent
les autres, à ce qu'un concombre contienne un village : selon
la tradition, le monde à son origine n'était-il pas contenu dans
un oeuf ? Quant au coquin qui raconte comment il revint à la
vie après qu'on lui eut coupé la tête, il n'impressionne guère
plus : le dieu Hanuman ou le roi Jarasamdha, bien avant lui,
connurent des aventures comparables.
Voilà comment les plus grands récits brahmaniques deviennent
suspects, puisqu'ils sont aussi saugrenus que les histoires
narrées par les coquins : tel est le but de la Ballade savoureusement
ironique que Haribhadra, maître du jainisme, composa vers
le VIIIe siècle.