En nous assujétissant à une vie brève, la nature nous fait scandaleusement subir un injuste outrage. Pourtant, ce lieu commun qui fédère les plaintes des médecins, des poètes et des philosophes est lui-même scandaleux au regard de la raison ; dans un de ses premiers traités philosophiques que l'on a trop souvent réduit à n'être qu'un pur exercice oratoire, Sénèque entreprend de redéfinir le plus complexe et le plus confus des concepts, le temps. La subtile construction rhétorique qui organise ici l'enquête ne l'empêche pas de se fonder avec précision sur la théorie stoïcienne du temps pour conduire le destinataire du traité à une pleine conversion philosophique : il s'agit de s'approprier sa propre existence en se dégageant de l'aliénation de la vie quotidienne, dans une parfaite attention au présent. Espace de l'action rationnelle et morale, le temps présent ouvre à celui qui n'a pas su encore commencer à vivre la possibilité d'une nouvelle naissance où le hasard n'a plus de place ; espace de liberté, il lui permet d'abolir les frontières qui le coupent de son passé comme de son futur, et de conquérir cette immortalité dont le désir, mal formulé, l'aliène. De cette maîtrise du temps présent dépend toute notre capacité à nous élever, comme le demande la Nature, à notre vocation divine.