Les tyrans archaïques n'ont jamais eu en vue «que l'égoïste prospérité de
leur personne et de leur maison» écrit Thucydide au Ve siècle avant J.-C.
Et l'historien de conclure que tyrannie et cité sont deux parfaits contraires
- car la cité n'a de souci que pour ce qui est commun et public. Jugement lapidaire,
le nôtre encore, comme historiens, comme démocrates.
Et pourtant ! La tyrannie grecque, comme la démocratie, est un phénomène
unique dans l'histoire mondiale des cités. Sous la férule armée des tyrans, la
cité archaïque voit naître un nouveau pouvoir - coercitif, centralisé, abstrait -,
un nouveau territoire - public -, une nouvelle citoyenneté - culturelle -, une
économie différente - communautaire, civique... -, un nouveau régime - à part
entière - tel serait le legs politique de l'époque archaïque ?
Révolutionnaire et cohérente, la tyrannie s'offre comme le premier acteur et
le premier objet de la pensée politique grecque, de la pensée du logos. Tyrannisée
mais réformée, la cité grecque se politise et entre ainsi dans sa voie singulière.
Et si la mémoire des Anciens ne conserve de ce temps essentiel qu'une sombre
légende de fureur et de désordre, derrière la façade de son équilibre isonomique,
la cité classique se construit sur cet inavouable héritage. Héritage qui repose enfin
la question de l'origine : qu'est-ce que la cité grecque ?