Les partages traditionnels entre hommes et femmes sont
aujourd'hui profondément remis en cause, en dépit des inégalités
persistantes qui affectent leur traitement respectif. Au coeur de ces
bouleversements se trouve le principe de non discrimination qui
gouverne l'ordre politique de nos sociétés : comme si écarter la
référence aux sexes passait par leur indifférenciation.
Les incertitudes qui en résultent sont notre lot, celui d'une
condition sexuée qui n'est pas plus réductible à l'état civil qu'elle
ne se déduit d'une nature ou d'un destin. Se mettre en devoir de
penser cette «condition» amène à s'interroger sur le rôle déterminant
qu'a joué dans sa mise en place le christianisme, au cours de
l'histoire occidentale.
L'affirmation de ce rôle peut sembler paradoxale, vu la méfiance
que les chrétiens sont réputés avoir entretenue par rapport au
sexe et à la sexualité. Se décident là pourtant des processus
d'intériorisation et de subjectivation, avec l'investigation de
l'intime ; la distinction publique des ordres civil et religieux, avec
le choix des états de vie ; voire, une fois le mariage propulsé au
centre de la vie sociale, le voeu qu'amour et plaisir se conjoignent.
L'enjeu de ces remaniements, opérés sur la longue distance,
n'est pas mince : nos repères ne sont plus le besoin, la mesure,
l'équilibre, ni le plaisir tempéré ou la rivalité amicale entre pairs.
Nous nous voyons comme des êtres de désir, l'altérité est notre
orient et l'amour notre justification. Nous demandons l'impossible.