La crise de la conscience iranienne
Histoire de la prose persane moderne (1800-1980)
Pour les Iraniens, tout est littéraire ; toute expérience humaine prend tôt ou tard une forme littéraire. Tout phénomène appelle sa représentation. Sans doute, peu de civilisations du monde vont aussi loin dans cette mise en forme, au point même que la forme semble précéder la pensée, la submerger, et finir parfois par la faire oublier. Dans la longue tradition littéraire iranienne, c'est bien sûr la forme poétique qui assumait ce rôle, occupait le centre, constituait l'axe autour duquel s'enroulait l'ensemble du système. Mais la grande crise des 19e et 20e siècles opère un décentrement, un déplacement de l'axe. La forme prosaïque, toujours contenue à la marge, à la périphérie, entreprend la conquête du centre canonique, par étapes, ponctuées par de grands évènements comme la naissance de l'imprimerie, celle de la presse, la transformation du système pédagogique et le développement intensif de la traduction littéraire. Cette place nouvelle au sein du système, la prose la conquiert dans un échange permanent avec l'idéologie politique et sociale. Elle participe au même combat qui aboutit à la révolution constitutionnelle de 1906, au coup d'État de 1921, à celui de 1953, aux mouvements suscités par la révolution blanche des années 60 et pour finir à la révolution de 1978-79. L'histoire de la prose persane moderne est celle d'une longue crise à la fois politique, sociale et culturelle à laquelle elle a donné forme, dans laquelle elle a pris forme.