Penser la démocratie sans demos implique de dénouer le
lien solidement établi au XIXe siècle entre les concepts de démocratie
et de souveraineté du peuple. À cela, la mondialisation
contemporaine ne cesse de nous inciter. Le procès continu de
démocratisation de l'État moderne a été rendu possible par
l'individualisation du sujet de droit, elle-même résultat de la destruction
des droits particuliers des sociétés d'Ancien Régime
par l'action centralisatrice d'un pouvoir de type territorial. Mais,
en s'imposant comme la seule instance garante des droits, l'État
moderne a aussi nationalisé la citoyenneté. Or, il est certain
qu'aujourd'hui l'érosion du monopole juridique et judiciaire de
l'État s'accompagne d'une multiplication et d'une hétérogénéité
croissantes des pouvoirs auxquels les individus peuvent et
doivent s'adresser pour obtenir la reconnaissance et la garantie
des droits qu'ils revendiquent.
Cette situation nous fait obligation de dénationaliser la
citoyenneté sans sacrifier pour autant cette forme spécifique de
subjectivité politique qu'est l'individu sujet de droits, sans renoncer
par conséquent aux ressources émancipatrices dont cette
figure du sujet politique a fait la preuve au cours des deux
derniers siècles.