Que l'histoire de la philosophie, de la Révolution
française à la barbarie nazie, nous soit intelligible, voilà bien le propos de La Destruction de la raison écrit par Georges Lukács en 1954 et dont nous publions ici les chapitres concernant la première moitié du XIXe siècle. Le développement des forces productives et le bouleversement des rapports de production pendant cette période, s'accompagneront de grandes avancées scientifiques porteuses d'une évolution déterminante en philosophie. Face à cette nouvelle donne, l'aristocratie de la Restauration puis surtout la bourgeoisie victorieuse, adapteront leur arsenal intellectuel en fonction de l'expression des antagonismes de classe.
Aux côtés d'une apologétique directe du capitalisme - insurpassable apogée du développement humain, aujourd'hui nous dirions « la mondialisation heureuse » - Georges Lukács met en lumière une apologétique indirecte du capitalisme : séries de dispositifs philosophiques mis en place (peu importe si ces philosophes en furent ou non complètement conscients) pour faire pièce à la pensée progressiste, à la philosophie dialectique, à travers la négation de l'histoire et du progrès, de la société, de l'objectivité de la réalité, de la causalité, de la raison (tout en concédant a contrario quand même à l'entendement autant qu'il était nécessaire à la technologie au service de la production capitaliste). Ces négations, visant à rendre vaine philosophiquement toute idée de progrès social, seront juxtaposées à des philosophèmes allant du mysticisme pur à l'« athéisme religieux », pour au final célébrer l'individu privé de la bourgeoisie triomphante comme un donné anthropologique absolu.