La fable de l'être
La conjonction de la poésie d'Yves Bonnefoy et de Ted Hughes se produit en ce moment décisif de la fable épique, où des figures primordiales font tenir l'être dans la parole contre toutes les menaces de dissolution et de leurre. Là où d'autres ont choisi de raréfier les mots, se déploie une parole abondante et souvent confiante.
C'est tout un monde qui se partage alors, fait de grands éléments porteurs d'universalité, comme « un vent plus fort que nos mémoires » dans Du mouvement et de l'immobilité de Douve (1953), et le « vent » qui « maniait une lame de lumière » dans Le faucon sous la pluie (1957), comme la pierre aussi, dernier vestige de matière lorsque tout s'efface en rêve, dernière preuve contre la neige. Et pour déjouer le concept, la parole se modèle auprès de ces présences-là plutôt que dans l'intuition du néant, auprès de leur exultation résurgente plutôt que dans les ascèses douteuses de l'esprit. Chez ces poètes, la tragédie d'un ancien ordre écroulé se noue, par la musique, à de grandes joies, violentes et éphémères, mais propres à faire aimer dans le chaos les signes de l'être qui s'étaient tus.
Cet essai s'attache à faire résonner un dialogue entre ces deux oeuvres majeures de la poésie européenne du vingtième siècle, par leur élucidation croisée et par la traduction française inédite de nombreux vers de Ted Hughes.