Devant la porte de la cuisine, il y a toujours
l'escalier de pierre qui monte au grenier. Dans le flou
de ma mémoire, j'ai l'impression que c'est mon premier
repère de la ferme. Enfant, je n'avais le droit qu'aux
premières marches. Je venais m'y asseoir. De là,
je pouvais voir l'intérieur de la cuisine ; surtout l'été,
quand la fenêtre était ouverte. Plus tard toutes les marches
de l'escalier ont été autorisées. Elles sont restées très
longtemps un lieu de jeu et d'observation privilégié.
Je faisais de l'acrobatie sur la rampe. C'est là que j'ai fait
mon premier saut et mon premier équilibre ! A la fin de
la journée, on pouvait s'asseoir et écouter les bruits de
la ferme, des hangars, des écuries, lorsque mon père
et les ouvriers agricoles revenaient des champs.
On pouvait aussi entendre ma mère préparer le repas
du soir, sentir les plats de la cuisine. Et, après le dîner,
on allait de nouveau jouer et sauter dans le vide.
Aujourd'hui encore, j'aime m'asseoir sur cet escalier.
Est-ce la forme si parfaite de ses pierres usées par
le temps ? Leur couleur, qui change selon la lumière,
la saison ? Sous le soleil d'hiver, il y fait doux. On y est bien
protégé de la bise, ce vent qui souffle sur la vallée de
la Saône. En été, c'est le lieu le plus chaud de la cour.
Le soir, le soleil rouge vient mourir en haut des marches.