D’après le droit canon, les chanoines des cathédrales sont réputés constituer le « sénat » de l’évêque et le vivier où il choisit ses proches collaborateurs. Dans la pratique, à la fin du 18e siècle, ils excèdent ce rôle. Collectivement, les chapitres influencent et même font pression sur leur évêque. À titre individuel, plusieurs chanoines jouent un rôle d’« éminence grise ». La recherche a porté sur les chanoines qui se sont succédé dans les cathédrales des sept diocèses des Pays-Bas autrichiens entre 1770 et 1797. Ces diocèses ont composé ce que le gouvernement qualifia lui-même d’« Église belgique ». Ce sont les cathédrales Saint-Rombaut de Malines, Notre-Dame d’Anvers, Saint-Donatien de Bruges, Saint-Bavon de Gand, Saint-Marin d’Ypres, Saint-Aubain de Namur et Notre-Dame de Tournai. L’étude met en évidence les nombreuses relations familiales entre chanoines. Elle montre plus largement que le haut clergé est souvent issu de familles « à prêtres ». Ce qui, loin d’être un truisme, signifie que l’ordre sacerdotal se recrute sur une base sociale, culturelle et spirituelle étroite. En particulier, les milieux du monde légal (robe, magistrature, basoche) forment plus de la moitié de la base de recrutement connue et plus du tiers de l’ensemble du corps. Cette caractéristique peut être rapportée au modèle d’administration de la « bonne ville » borroméen ou « hispano-tridentin », qui a émergé au début du 17e siècle et qui rentre en crise au 18e siècle. L’étude montre, par-delà les réseaux familiaux et le népotisme, qu’il existe une autre force centripète au sein de ce clergé : ce que nous avons appelé la « connexion de Louvain ». L’université de Louvain, qui détient le monopole de l’enseignement supérieur, étend un réseau informel de clientèle à travers les Pays-Bas. L’étude montre que le marché des bénéfices ecclésiastiques est sous le contrôle de l’université. Le réseau lovaniste est solidement implanté dans les instances d’Église. Les conflits de la fin du 18e siècle révèlent le rôle souterrain de ce réseau. Les chanoines affiliés à la « connexion de Louvain » influencent voire forcent l’attitude des évêques contre le joséphisme (1780-1790). Ils vont également jouer un rôle d’opposition sous le régime français, avant la conclusion du concordat (1795-1802).