Ce livre a recherché dans leurs écrits les croyances, les espérances, les
illusions des militants «révolutionnaires» français de la seconde moitié
du XXe siècle, ainsi que la critique effrénée qu'ils ont menée de la société
présente pour construire un monde radicalement autre. Les immenses
catastrophes que le communisme a produites dans tous les domaines
sont attribuées avant tout à Staline, de plus en plus à Lénine, et les
erreurs et les égarements en France sont imputés au «Parti». Car les
militants se parent - et sont parés - de toutes les vertus ; seul le «Parti»
porterait toutes les responsabilités. Quant à Marx, malgré les lectures
pénétrantes de Isaiah Berlin et de Kolakowski, il continue d'être le plus
souvent épargné, et même révéré.
Isaiah Berlin a souligné la nouveauté que le marxisme avait imposée
(et que les fascismes et les nationalismes ont utilisée) : la division de
l'humanité en deux groupes, les hommes et les classes (les races, les
nations) qui sont condamnés par l'Histoire, et donc «sacrifiables». Leur
destruction ne peut être empêchée ni même regrettée, c'est le prix que
l'humanité doit payer pour le progrès : «Le chemin qui mène aux portes
du paradis sera nécessairement jonché de cadavres.» La séduction du
marxisme tient au travestissement qu'il a fait de pulsions meurtrières, en
les habillant de nécessité, de scientificité. Marx l'avait dit dans
Le Manifeste communiste en 1848 : l'élimination de la bourgeoisie et
le triomphe du prolétariat sont inévitables. Au début du XXIe siècle,
malgré l'implosion du monde communiste, des intellectuels toujours
aveuglés continuent à faire comme si cette prophétie était scientifique :
en première ligne des destructeurs sont les familles trotskystes.