La foi du cordonnier
De tous les livres de Gilbert Durand (1921-2012), La Foi du cordonnier est à coup sûr le plus révélateur de l'humanité profonde de son auteur. Le ton en est alerte, enjoué presque à l'évocation de l'échoppe du cordonnier « pleine d'odeurs fauves, des crus divers de muscs, de tannins de tous les cuirs imaginables », dont le mystère enchanta son âme d'enfant. Quoi de plus simple pourtant que ce geste millénaire grâce à quoi les hommes, marchant entre ciel et terre, ont cessé d'être des va-nu-pieds ? Un geste dont Gilbert Durand explicite ici le symbolisme - « unir la rudesse, la solidité de la terre et la voûte légère du ciel » - qu'il découvre commun à toute une famille d'esprits : hermétistes et alchimistes, astrologues et autres « magiciens », point si éloignés qu'on pourrait se l'imaginer de la ferveur chrétienne populaire demeurée attentive aux grands cycles cosmiques et au rythme des saisons ponctuant durant des siècles « les travaux et les jours de la chrétienté occidentale ».
Sous son aspect débonnaire, La Foi du cordonnier est un manifeste en faveur d'une gnose réconciliatrice et rien moins que dualiste, répondant au besoin de signification et d'orientation de l'homme d'aujourd'hui. Pourfendant comme à son habitude l'iconoclasme occidental, responsable de la scission entre le réel et l'imaginaire, les forces de la nature et les préceptes de la foi, Gilbert Durand ouvre la voie à une Science de l'Homme qui, sans rien renier des traditions culturelles et de leur riche héritage symbolique, entrerait en dialogue avec les sciences les plus avancées de notre temps. C'est en anthropologue inspiré, en poète parfois, qu'il s'emploie à « glaner » dans chacun des chapitres de ce livre les traces de ces traditions savantes
ou populaires, et de ce christianisme primitif solidement enraciné dans l'imaginaire occidental et européen.