Paris, dernier quart du XIXe siècle... Des anxiétés s'aggravent. L'alcoolisme fait rage, les dégénérescences guettent. « N'y a-t-il pas plus de fous aujourd'hui qu'autrefois ? », s'inquiète ainsi le Dr Paul Garnier dans sa Folie à Paris (1890). Il occupe une position stratégique pour répondre à la question : Garnier est le médecin-chef de l'Infirmerie Spéciale du dépôt de la Préfecture de Police, où sont transportés tous ceux qu'on embarque sur les pavés de la capitale. Et la réponse est affirmative : l'urbanisation accélérée, l'entassement dans la cité de masses compactes et flottantes d'individus anonymes font éclore de nouvelles folies urbaines, jusqu'alors inconnues. La ville produit donc de la folie, que la psychiatrie observe, transcrit, identifie, et classe.
L'ouvrage de Garnier offre à cet égard un panorama sans égal de la folie à Paris à la fin du siècle, et du sort qui lui était réservé par les rouages de la gouvernementalité bureaucratique quand émergent les sociétés de masse.
On pourrait en rester là, et n'y voir rien d'autre qu'un épisode classique de la longue histoire du contrôle des insensés. Mais il y a une autre manière de lire ce tableau des misères urbaines et d'y entendre les voix de ces égarés. Car si la ville engendre de la folie, la folie produit de la ville. Une autre ville se dévoile alors : elle possède sa géographie, sa monumentalité, ses hauts lieux de la folie ; mais aussi ses parcours, ses lignes de fuite, ses divagations... Un Paris pyramidal, tentaculaire, peuplé de terreurs nocturnes surgit des délires. Mais ce Paris déliré est-il au fond si étranger que cela au Paris délirant qu'invente alors la société urbaine de masse ?