Manger au travail, un sujet anecdotique pour les
sciences sociales ? Les auteurs de cet ouvrage novateur
affirment le contraire : la pause-repas qui
interrompt la journée ou la nuit de travail offre, à
qui sait l'analyser, un observatoire privilégié des
sociétés contemporaines. Quoi de plus nécessaire
que de se restaurer pour les travailleurs ? On imagine
sans peine que l'appréciation des employeurs
est toute différente face à ce temps mort du point
de vue de la production. La pause-repas dans les
sociétés industrielles et salariales est un enjeu de
luttes incessantes, qu'elles soient ouvertes ou souterraines,
les revendications des uns (allongement
des temps de pause, choix des lieux de repas...)
s'opposant aux logiques des autres (contrôle de la
durée de pause, rationalisation de l'organisation du
temps et de l'espace).
Comment, quand, avec qui et où mange-t-on pendant
son temps de travail depuis plus de deux
siècles ? La gamelle et l'outil pose de précieux
jalons en croisant les pays (outre la France, l'Italie,
la Pologne, la Suisse, l'URSS...) et les familles professionnelles
- celles qui ont fait les riches heures
de l'histoire ouvrière (les mineurs, les cheminots...)
et d'autres moins étudiées (les ouvriers des arsenaux,
les policiers, les salariés du cinéma...) -,
mais aussi en mettant l'accent sur des pratiques
rebelles (la «soupe communiste» et autres repas
de grève) ou sur les imaginaires du repas au travail
chez les premiers socialistes du XIXe siècle.
À la croisée d'une histoire sociale et politique,
c'est toute l'organisation du temps et de l'espace
des sociétés de l'ère industrielle qui se réfracte
dans cette étude de l'alimentation au travail.