La gloire de Bergson
Essai sur le magistère philosophique
Qui se souvient encore que Bergson a été un philosophe célèbre, le premier sans doute à ce degré ? Professeur au Collège de France, il connut la gloire de son vivant. Ses cours suscitèrent un engouement dont on a peine aujourd'hui à mesurer l'ampleur.
Mais que signifie être à la mode ? Il arrive qu'une doctrine philosophique circule dans une certaine culture et qu'elle y introduise, chez ses propagateurs enthousiastes, des philosophèmes et des formules simples qui accélèrent sa popularité. L'histoire de la philosophie ne veut y voir traditionnellement qu'une dégradation de la rigueur systématique de la doctrine, alors qu'il s'y joue la mise à l'épreuve de sa capacité à lire et à interpréter le monde.
Les contemporains de Bergson se sont jetés à corps perdu sur sa philosophie qui, valorisant l'intuition et critiquant l'intelligence, leur a rendu le monde moins opaque en lui donnant un sens, une direction à son évolution. Si les partisans de la démocratie parlementaire, particulièrement ceux de gauche, se réclamaient de Descartes, la droite nationaliste, conservatrice, volontiers adversaire du système parlementaire mais également la gauche antiparlementaire, révolutionnaire ou anarchisante manifestèrent chacune leur ferveur pour un bergsonisme exaltant l'élan vital.
La barbarie des conflits mondiaux aura raison de cette mode sans équivalent ni précédent. Surgit alors l'intellectuel engagé, reconnu pour ses prises de position plus encore que connu par la lecture de ses oeuvres. Le magistère philosophique le céda au magistère intellectuel.