Pour l'amoureux de la langue, le petit ouvrage de l'abbé
Girard est une mine inépuisable de subtilités, de finesses, de
surprises joyeuses, d'émerveillements sans cesse renouvelés.
Pour le locuteur moderne, c'est-à-dire pressé, notre langue
est bien souvent inutilement complexe : par exemple, pourquoi
plusieurs mots pour dire une seule et même chose ? C'est précisément,
martèle l'abbé, parce qu'ils ne disent pas exactement
la même chose. Quelle est donc la différence entre ces mots,
que nous utilisons tous les jours, souvent en prenant l'un pour
l'autre, sans savoir vraiment ce que nous disons, ou ce que nous
voulons dire ? Quelles différences entre Trace et Vestige, entre
Instruire, Enseigner, Apprendre, Faire savoir, entre Achever, Finir
et Terminer ? : «On achève ce qui est commencé en continuant
à y travailler. On finit ce qui est commencé en y mettant la dernière
main ; on termine ce qui ne doit pas durer.»,
Le texte de Gabriel Girard prend aujourd'hui tout son relief.
Hommage savant à la langue en son temps, le XVIIIe siècle, il
devient aujourd'hui, à l'heure de son appauvrissement extrême,
de sa déshérence, de sa simplification sous l'emprise du dogme
débilitant de l'efficacité médiatique, du règne omnipotent du
«mot-valise», un véritable texte de combat.
Il plaide pour la subtilité magique de la langue qui, loin d'être
un pur outil de communication, est une ouverture à l'infini du
sens, au méandre interminable d'une expression à venir, à l'émerveillement
devant ce que nous sommes capables de penser. Et
aussi à l'exercice jubilatoire de la parole car, et l'abbé Girard le
rappelle magistralement, pour peu que nous le fassions avec justesse,
parler, écrire, sont sources de plaisirs infinis.