Ned Kelly, espèce de Billy the Kid australien, est un
voyou légendaire né en 1854 (ou 55) et condamné
à la pendaison en 1880. Il avait constitué un gang
qu'il entraînait dans toutes sortes de méfaits, du vol à la
mort d'homme. Lui se considérait comme un justicier en
guerre contre l'ordre établi...
Avant son ultime affrontement avec la police, il a cherché
à faire publier cette lettre par laquelle il justifie ses actions
et proclame son innocence ! Parfaitement illettré, il a rédigé
un texte qui pourrait être une réussite de l'Art brut en
littérature. Tout y est, à proprement parler, surprenant : le
vocabulaire imagé, la ponctuation très approximative, des
descriptions de personnages désopilantes.
«La lettre de Jerilderie (...) est le témoignage d'un homme en
colère sur l'époque et le lieu, sur un pays où s'était installée une société
qui était le reflet du système de privilèges, de castes et de corruption
légale de l'Empire britannique. Selon Ned Kelly, la loi n'est pas la
loi quand elle est imposée par «la conduite brutale et lâche d'une
troupe de gros et horribles fils d'Huissiers irlandais cagneux sans cou
ni hanches à tête de wombat gras du bide». Et, en ce qui concerne
les habitants de ce pays, il conclut : «S'ils dépendent des policiers
ils seront poussés à la destruction.» Avec fureur, les détails de la
vie d'un homme deviennent la description du monde entier, avec ses
peurs, ses actes de violence, ses vices mesquins, l'angoisse de la survie,
le sentiment d'impuissance. La lettre de Jerilderie a sa place à côté
des témoignages d'autres célèbres hors-la-loi : François Villon, Jean
Genet, Jack Henry Abbott.»
Alberto Manguel