Le corps humain a été mis en récit dans la littérature de façons diverses, offrant chaque fois les signes d'une logique corporelle particulière. Deux logiques corporelles sont mises en regard dans cet ouvrage. L'une nous est coutumière : elle organise le corps en fonction de ses ouvertures, de la peau et du rapport interne-externe. C'est le «corps-enveloppe». L'autre est la logique du «corps articulaire».
Les descriptions de blessures offrent des indices importants : dans l'Iliade, Enée est atteint à la hanche, précisément à la jonction du fémur et de l'os du bassin ; dans Beowulf, le héros disloque l'épaule de Grendel, causant la rupture des tendons ; dans le Lancelot de Chrétien de Troyes, le chevalier est fendu à la jointure du cou et de l'épaule. Autant de précisions qui montrent que le corps a été pensé à certains moments historiques en fonction de ses articulations, lesquelles étaient perçues comme vitales et signifiantes.
La logique du corps articulaire fait jouer un rôle primordial à la mobilité et à la sensation du mouvement. Le héros n'est pas seulement le plus rapide, il est celui dont la capacité sensorielle motrice est la plus grande. Le forgeron divin Héphaistos dans l'Iliade et le dieu Hermès, inventeur du feu dans l'Hymne homérique à Hermès, sont capables de créer grâce à une motricité extraordinaire, hors norme. Cette façon de penser le corps a ensuite disparu avec l'avènement de la dichotomie corps-âme, mais sa trace reste néanmoins présente dans certains textes fondamentaux de la culture occidentale.