Mort en 2001, Alfred Kern est un des plus grands écrivains du patrimoine alsacien de l'après-guerre. Son oeuvre comporte sept romans, publiés par les Éditions de Minuit, puis Gallimard. Si le Bonheur fragile, Prix Renaudot 1960, en est le plus connu, son maître-livre, révélateur de son génie burlesque et mélancolique, reste le Clown, grande épopée du jeune Hans Schmetterling à travers la Mitteleuropa. Après le Viol (1964), Kern interrompt sa carrière de romancier pour se consacrer entièrement à la recherche scientifique, puis à la photographie et à l'écriture poétique.
Dans sa préface au Carnet blanc (2002), Philippe Jaccottet a donné toute la mesure du parcours littéraire de l'écrivain : « Lisant ces pages si dépouillées, si intérieures, écrit-il, je me dis que Kern, devenu ici contemplateur de plus en plus immobile du paysage que son refuge lui offrait tous les jours, Kern avec sa passion des choses visibles et des autres, avec l'enfance restée si présente en lui, dans le bonheur certes fragile mais pour lui si durable de l'amour, je me dis qu'il avait vraiment atteint ce centre que la profusion romanesque risquait peut-être de faire oublier, et d'où montagne et flamme de bougie peuvent être vues comme tressées ensemble pour un regard assez clair. »
Élevé à Schiltigheim, dans ce terreau de la langue populaire strasbourgeoise qu'il évoque avec tendresse dans le Jardin perdu, Kern n'a pas écrit en dialecte, mais a publié quelques rares poèmes écrits en allemand. Les textes ici rassemblés sous le titre la Lumière de la terre, constituent l'essentiel de son oeuvre dans cette autre langue. Et l'étonnant est qu'en les lisant on découvre combien tout son travail est marqué par cette langue sous-jacente, qui lui a transmis un peu de son imaginaire, de sa saveur et de son rythme.
Écartelée entre la langue de l'enfance et celle de l'âge adulte, entre la prégnance des choses et la présence de l'invisible, telle nous apparaît l'écriture d'Alfred Kern, et c'est dans ce déchirement que se trouvent sa vérité et sa grandeur.