Redonner à des textes antiques valeur de voix poétique : tel fut le défi que se lança Salvatore Quasimodo. Tenter d'approcher de façon vraisemblable le « chant » qu'ils véhiculent, la « cadence interne de la parole érigée en vers » créatrice de sens. Si cette approche déconcerta nombre de ses contemporains (ils finirent pas céder devant tant d'éclat), aujourd'hui encore on peut ressentir le souffle constant qui anime ces pages lumineuses.
Retraduire Shakespeare, Donne, Dante, Cervantès. Retraduire, ou recommencer à traduire n'est pas tenter de mieux imiter en corrigeant les défauts des traductions antérieures, en prenant pour modèles des copies antérieures qu'il s'agirait de « restaurer », c'est « habiter et défendre Babel », c'est ouvrir un nouveau chemin de culture dans l'oeuvre, la cultiver autrement, y trouver un nouveau point de départ, une nouvelle traverse, ce labyrinthe droit dont parle Borges, labyrinthe où le verbe recommencer n'a plus le sens que la répétition bouffonne lui confère, mais signifie commencer quelque chose d'autre, annonce une seconde venue, une seconde vue, la liberté même du traducteur qui fait de l'oeuvre traduite, littéralement et dans tous les sens, une revenante.
Patrick Reumaux