Disparu en 1985, Fernand Braudel a révolutionné
la façon de concevoir et d'écrire l'histoire,
traditionnellement organisée autour des faits et gestes
des «grands hommes». En convoquant les données de la
géographie, de l'économie politique et de la sociologie,
il a redonné à l'histoire humaine toute l'amplitude
de son mouvement.
L'oeuvre de Braudel, qui a tant marqué la pensée
historique, peut-elle ébranler le discours des économistes
et des technocrates d'aujourd'hui ? En mettant en avant
l'autonomie relative des différents étages de l'économie
(économie de subsistance, économie de marché local,
économie-monde), ainsi que les voies de passage entre eux,
son analyse permet de comprendre les processus
de domination actuels. Elle fait mieux voir les possibilités
qu'offrent les étages «inférieurs» de traiter les problèmes
économiques, sociaux et politiques, et de «civiliser»
l'étage supérieur. En s'appliquant aussi bien aux rapports
à l'intérieur des sociétés qu'aux rapports des sociétés entre
elles dans le cadre de la mondialisation de l'économie,
les travaux de Braudel ébranlent ainsi l'affirmation selon
laquelle rien ne peut être fait tant que les mécanismes
d'assujettissement macro-économique n'auront pas été
détruits. Au contraire, c'est l'inventivité et la réactivité
de ces étages «inférieurs» qui sont le mieux à même
de minimiser cet assujettissement. «L'architecture
braudélienne, estime François-Xavier Verschave, est
un schéma plus utile que jamais pour ceux qui cherchent
à rendre la cohabitation dans la maison-monde aussi
harmonieuse (ou aussi peu ruineuse) que possible».