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Les sociétés « sauvages » ont un penchant avoué pour les rituels d'inversion, dans lesquels on se fait un malin plaisir de ne pas appeler un chat, de déguiser les choses, les êtres et les idées, de travestir les hommes et les femmes, de dénuder les sexes avec une complaisance qui laisse rêveur. Les peuples de Nouvelle-Guinée sont passés maîtres dans l'art de cette contrebande d'identité. Chez eux, l'âme et le corps sont à angle droit. Chez les Iatmul, l'oncle maternel se déguise en veuve ridicule et écarte fièrement les jambes pour honorer son neveu. Chez les Hua, les initiés, inquiets de leur virilité, se saignent le pénis pour vidanger le sang de leur mère, impur et débilitant, mais imitent secrètement la menstruation féminine en avalant des jus écarlates en vue de s'approprier cette fécondité dont ils rêvent. Là-bas, le sexe est plus qu'une métaphore. Chez les Fore, les règles de la bienséance cannibale autorisent une femme à dévorer les fesses de son époux défunt, mais celui-ci devra attendre la mort de sa soeur pour qu'il lui soit permis d'engloutir ses organes génitaux. Le sexe est un modèle cosmologique, un théâtre dans lequel le principe d'identité, qui joue un rôle presque pervers dans son obliquité, débouche sur une logique du signe à l'opposé de ce que nous connaissons. Rien n'échappe à cet empire de l'inversion perpétuelle : l'économie, l'organisation sociale, la mythologie ; tout est retourné dans ces rituels, qui sont comme d'infinis sacrifices. Sinon, pourquoi le jardinier trobriandais éprouverait-il une telle jubilation à laisser pourrir les ignames qu'il vient de récolter et dont il est si fier ?