Derek Mahon est l'un des plus grands poètes irlandais contemporains, certains disent le plus grand. Son oeuvre
s'ouvre à une réflexion, jamais abstraite, sur l'histoire et ce qu'on appelle le progrès. Né en Irlande du Nord,
il est très tôt confronté aux violences qui déchirent ce pays, qu'il peine dès lors à appeler le sien. Mais l'histoire
humaine en général est-elle autre chose qu'une suite de massacres et de catastrophes ? Faute de pouvoir en
finir avec l'histoire, Mahon se plaît à imaginer que ce soit l'histoire même qui prenne fin, peut-être (qui sait ?)
pour recommencer à zéro. Ainsi disparaîtrait la « civilisation » d'aujourd'hui, règne de la finance et du gaspillage. En attendant, c'est la tâche du poète d'évoquer sans grandiloquence les victimes du passé, de souligner d'un trait ironique les ravages de la mondialisation actuelle, et de célébrer sans emphase les joies simples de tous les jours.
cinquantaine et misanthropie ne sont pas des sujets porteurs,
et le présent lui-même s'évanouit comme la neige s'efface
d'une corde, le givre d'un fossé, et la glace au soleil -
retour donc à la table de travail, à la planche à dessin,
à la lumière prismatique du jour, au nuage passant lentement,
aux vagues là-bas qui rugissent dans leur propre existence,
à une jeune femme qui fait du stop sur un chemin de campagne.
D.M.