La monnaie fondante
Il y a près d'un siècle, l'économiste belgo-allemand Silvio Gesell imagina une théorie monétaire extraordinaire : la monnaie fondante. Selon lui, il fallait donner une date de péremption à la monnaie pour en forcer la circulation afin qu'un billet thésaurisé perde irrémédiablement sa valeur. La monnaie devait « rouiller », comme si elle subissait un pourcentage d'usure. Il préconisait un estampillage d'un millième par semaine, ce qui correspond à un taux d'intérêt négatif de 5,2 % par an. Ce prélèvement aurait favorisé le roulement de l'économie productive et la mise à l'emploi.
L'idée de Silvio Gesell est dissimulée dans la pénombre de l'économie politique qui a précédé le déploiement du néolibéralisme. Sa théorie, certes imparfaite, ne fut jamais déployée à large échelle. Il a pourtant interpellé les plus éminents économistes du XXe siècle, dont John Maynard Keynes qui le qualifia de « prophète étrange et illégitimement négligé » et ajouta que « l'avenir apprendra plus de Gesell que de Karl Marx ». Le fondateur de l'École néolibérale de Chicago, Irving Fisher, avança que « le système de circulation monétaire proposé par Gesell libérerait le pays de la crise économique en deux ou trois semaines ».
Nous ne sommes pas très loin de la monnaie fondante, puisque l'épargne européenne n'est plus rémunérée alors qu'elle est oxydée par l'inflation qui approche ce seuil fatidique de... 5,2 %.
En 1916, un économiste génial, autodidacte, hétérodoxe et anarchiste avait compris qu'une plongée dans les taux d'intérêt négatifs pourrait constituer un aboutissement de l'économie. Nous y faisons face frontalement.
L'objectif de cet ouvrage est de découvrir quelques aspects stupéfiants de cette théorie en replaçant cette idée révolutionnaire dans son contexte historique.