Par une belle fin d'après-midi d'automne, Jean Michelez, qui était descendu de tramway à la porte de Champerret, suivait à pied, en flânant, le long boulevard Bineau, à Neuilly, à l'extrémité duquel se dressait la villa La vie là qu'il habitait avec sa femme et ses deux enfants. C'était un des derniers beaux ¡ours de l'année. Un vent tiède soulevait la poussière de la chaussée. Tout gardait encore les traces de l'été. Les arbres n'avaient point perdu leurs feuilles, ces feuilles poussiéreuses de fin de saison que les orages n'ont mouillées qu'à demi. Dans les jardins, des tentes claires abritaient les meubles rustiques. Les appels, les voix, les conversations, étaient sonores. De temps à autre, une fenêtre ouverte laissait s'échapper vers le ciel bleu les chants d'un phonographe ou d'un appareil de TSF.
M. Michelez regarda sa montre. Il était sept heures. La nuit tombait déjà. Il pressa le pas, non point dans la crainte de faire attendre sa femme, mais parce que, brusquement, il venait d'éprouver le besoin irrésistible d'être chez lui, de parler, de se sentir entouré. Depuis trente minutes, il n'avait prononcé un mot. À six heures et demie, ses employés, d'une voix soumise contrastant avec la liberté qu'ils allaient retrouver, avaient pris congé de lui. Peu après, il était également sorti non sans avoir, auparavant, soigneusement fermé la porte de son bureau situé rue de la Michodière. Ce court instant de solitude, s'il lui avait paru agréable au commencement, lui pesait maintenant. (...)