La noblesse romaine a été souvent considérée comme la mère de toutes
les noblesses occidentales et les ouvrages sur la noblesse médiévale
commencent classiquement par une référence à l'héritage romain. Cette
noblesse romaine (nobilitas) n'est pourtant pas celle que l'on croit : trop
d'historiens l'ont confondue à tort avec l'ordre sénatorial. À la fin de la
République romaine, la noblesse désignait au contraire un sous-groupe
du Sénat, composé des familles patriciennes et consulaires. Il s'agissait
d'une notion coutumière et non pas juridique. L'ambition de ce livre est
de mettre en lumière le rôle des catégories non statutaires dans la structure
sociale romaine.
Christophe Badel retrace le destin de ce modèle social au cours des cinq
siècles de la période impériale. Groupe défini par l'usage social, non par
la loi, la noblesse n'avait pas pour autant des contours flous car une série
de marqueurs permettait clairement aux Romains de l'identifier. La
gestion du consulat, l'exhibition des masques en cire des ancêtres lors
des funérailles, l'affichage des tableaux généalogiques peints sur les murs
de l'atrium désignaient concrètement un noble sénatorial au début de
l'Empire comme sous la République. Même si ce «modèle républicain»
de la noblesse sénatoriale connut des remaniements à la fin de l'Antiquité,
son fonctionnement général ne fut guère bouleversé.
Il démontra aussi son rôle de modèle en s'implantant dans d'autres milieux
et d'autres contextes. C'est en copiant la nobilitas sénatoriale que les
empereurs, les notables locaux, les chrétiens élaborèrent leur modèle de
noblesse. Ce phénomène de transfert ne fut pas sans affecter le modèle
originel, qui connut une certaine érosion dans le nouveau milieu d'accueil.
Mais le dynamisme du modèle nobiliaire n'en fut pas moins
impressionnant d'autant plus qu'il survécut à l'effondrement de l'Empire
romain en Occident (476). Au début du VIe siècle, il demeurait inchangé
dans les nouveaux royaumes barbares avant de s'effacer brusquement dans
le dernier tiers du siècle, victime de la fusion des élites romaines et
germaniques. Une nouvelle aristocratie forgeait un nouveau modèle
nobiliaire.