La Nostalgie du Père
J'ai connu une vie difficile, problématique, souvent angoissante. Ce qui m'a toujours porté, poussé en avant à travers elle, c'est le souvenir des mes instants d'intime élévation : oui, un souffle nous soulève au-dessus de nos propres frontières, aussi étriquées, aussi tristes soient-elles ! J'ai été, moi aussi, comme la plupart d'entre nous, un rôdeur de frontières, un passeur de toutes les frontières qui nous étouffent : frontières, pendant près de vingt ans, de l'immense Amérique, frontières conflictuelles autour de notre Rhin natal, frontières si hasardeuses du Proche-Orient, où la guerre, à chaque instant, menace d'éclater une fois de plus.
L'étoile polaire qui m'a guidé et soutenu en progressant d'une rive à l'autre, c'est le jeu du souvenir et de l'attente ; c'est l'aspiration renouvelée vers les instants de la lumière intérieure, ces moments merveilleux où je me sentais totalement en possession de mon propre être, où mon âme profonde rayonnait sur moi, et me soulevait vers elle.
Nous sommes ainsi propulsés par saccades douloureuses vers un ailleurs invisible. Et c'est peut-être dans cet ailleurs que nous sommes attendus. Sachons donc demeurer fidèles à cet appel énigmatique du lendemain ; sachons répondre loyalement à ce double mouvement, qui est l'afflux horizontal du fleuve, autant que l'élan vertical de la flamme intemporelle jaillie soudain en nous.
« Les pères ont trahi, mais le Père est fidèle » (Le Poème du Retour, Jérusalem, automne 1961).
Claude Vigée