« La politique d'un État est dans sa géographie, elle suggère, à la manière d'un portrait une destinée ». Sans conteste, la célèbre formule prêtée à Napoléon convient à la Turquie. Avancée de terre entourée de mers, aux confins de l'Europe et de l'Asie, la Turquie est un Janus géopolitique. À l'image du Dieu romain, elle associe deux visages antagonistes, l'un tourné vers l'Occident, l'autre profondément épris de sacré.
L'histoire de la Turquie contemporaine est celle d'un conflit permanent entre Islam et laïcité, démocratie et autoritarisme, peuple et élite.
Or, depuis 2002 et l'arrivée des islamistes aux affaires, une révolution silencieuse est en cours. La marche vers l'Europe, la mondialisation, ont bousculé les clivages. Convertis, non sans arrière-pensée, au rêve européen, les islamistes turcs sont les plus ardents partisans de l'adhésion. Nationaliste, laïque, progressiste, la matrice kémaliste est démantelée au profit d'une synthèse originale alliant foi, démocratie et économie de marché. Ce processus est porté par une classe d'entrepreneurs islamiques dynamiques. La nouvelle élite entend aujourd'hui construire un nouveau contrat social à l'écoute des attentes réelles de la population. L'ancienne Turquie s'était bâtie sur l'oubli du passé impérial et le rejet de la théocratie, la nouvelle puise, sans complexe, ses racines dans l'histoire, ottomane et la transcendance. Cette révolution verte clôt chaque jour davantage la parenthèse ouverte en 1923 par Mustapha Kemal.