Les Yucuna d'Amazonie colombienne disent de la nuit qu'elle est le
temps et l'espace qui libèrent les spectres, les démons et les entités
nuisibles en quête de proies. C'est pour cela que la nuit n'est pas faite
pour dormir, mais pour veiller et écouter l'observation, l'expérience
et le savoir enseignés par le chamane. Grâce à tous les sens dont la
nuit permet pleinement l'utilisation, la mémoire des paroles rituelles,
des mythes, des incantations, peut s'amplifier. C'est à un parcours des
pratiques quotidiennes et des profondeurs de la langue que nous invite
ce livre. On y apprend l'origine des heures de repas aussi bien que les
prières contre les maladies ; pourquoi le verbe «trancher à la hache» est
celui qui décrit le miracle de la lumière dans l'obscurité de la canopée
épaisse ; comment on use de la morphologie arawak pour décrire les
objets - en forme de cône, de sphère, de mollets, de cheveux... C'est au
creux de la langue que Fontaine nous parle de la «poudre d'obscurité»,
celle qui se répand et qui enferme le monde : la nuit.