Les pères ont été beaucoup parlés, peu écoutés.
L'homme - particulièrement le père - ne serait-il pas aujourd'hui ce «continent
noir» qu'était, pour Freud, la féminité ?
Qu'est-ce, en effet, qu'un père ? La réponse est loin d'être évidente. Est-ce
du géniteur, de l'éducateur, du compagnon de la mère qu'il s'agit ? Dans certaines
sociétés, le mari n'a qu'un rôle social et économique, tandis que c'est
l'oncle (paternel ou maternel) qui s'occupe de l'éducation, pendant que
l'amant (ou les amants) se chargent de la procréation. Chez les Davenda
d'Afrique du Sud, cela peut même aller jusqu'à accorder le statut de père à
une femme ! Dans notre culture, la réalité paternelle est également multiple.
Aussi l'auteur de ce livre, après une enquête ethnologique et psychanalytique,
a-t-elle choisi de dialoguer avec des hommes, cas courants ou moins
courants de paternité : entretiens cliniques avec des «primipères», des
«multipères», des hommes stériles qui ont un enfant par l'insémination
artificielle de leur compagne, des donneurs de sperme, enfin des hommes
qui ne veulent plus être pères (demandeurs de vasectomie).
Au terme du parcours, il s'avère que la paternité, comme la maternité, ne
sont pas tant liées à la réalité physiologique qu'à l'usage qu'en fait telle ou
telle société, à tel moment de l'histoire et de l'idéologie. Chez nous, on
a limité la part du père à sa fonction de géniteur et de détenteur de la loi,
la mère, elle, se caractérisant par sa grossesse et son accouchement. Or,
une redéfinition de la parentalité peut se faire selon d'autres vecteurs : le
sperme, qui n'est pas seulement celui du coït fécondant ; le lait, qui constitue
peut-être à lui seul la spécificité maternelle. Et un enfant ne se fait-il pas
avant tout dans deux têtes ?