L'espace social est devenu le lieu d'une comparaison intense
entre individus ou groupes, qui s'observent, se jaugent et s'évaluent
incessamment. Les dispositifs de mesure, omniprésents dès
l'école, pèsent sur les individus, dont l'orgueil mais aussi le
désespoir peuvent se réfugier dans de simples graduations. Sous
la pression insistante de modèles visuels, chacun conçoit sa
propre vie comme une course permanente à l'acquisition d'attributs,
de biens, d'expériences, qui lui permettront de se mesurer
aux êtres qui l'entourent. La conjonction des principes égalitaires
et des processus de distinction exacerbe cette comparaison
sociale, rendant toute forme d'infériorité à la fois de plus en plus
fréquente et de moins en moins supportable. La moindre différence
est accueillie comme hiérarchie potentielle et les esprits
sont contraints d'assumer cette tension particulière dans leurs
relations distantes autant que leurs conflits intimes. Dans un tel
contexte, tout contact humain devient menace d'infériorité.
Cet ouvrage est consacré à une culture singulière de la comparaison
sociale : la nôtre. Il s'emploie à en rechercher les fondements
socio-historiques et à analyser les tourments qu'elle fait
peser sur les subjectivités. En des temps où l'on parle si anxieusement
de reconnaissance, d'estime de soi et d'humiliation, ce
détour par les sciences humaines semble devenu nécessaire.