Si le nom de Malebranche est un nom familier des lecteurs philosophes,
celui d'Ollé-Laprune l'est en revanche bien moins. Or ce n'est
pas trop dire que d'affirmer ici l'importance décisive de ce nom dans
l'histoire des études consacrées à la pensée de Malebranche. Léon
Ollé-Laprune fit paraître en effet, sur ce philosophe-ci, la toute première
synthèse complète et détaillée, trois ans après l'avoir présentée au
concours de l'Académie des sciences morales et politiques.
Dans ce premier volume, le lecteur sera mis en présence tour à tour
d'un homme et de sa doctrine. De l'homme Malebranche d'abord, de
son tempérament et de sa formation, dont la présentation laisse déjà
affleurer ce qui constituera un motif récurrent : l'idée, non d'une tension,
mais bien d'une congruence entre un Malebranche mystique et un
Malebranche systématique. Cette idée se précise quand notre auteur
aborde le contenu de la doctrine. Deux critiques s'en dégagent qui font
peser sur elle l'ombre du panthéisme, dont n'est pas distinguée l'ombre
du spinozisme : l'idée d'une absorption des créatures en Dieu, l'idée
d'une confusion entre Dieu et le monde. Si l'ombre du panthéisme
plane ainsi chez Malebranche selon Ollé-Laprune, c'est comme la
conséquence fatale d'une vérité qui, pour hanter son coeur, irrigue tout
son système, obligeant la raison à en plaider la cause toujours par des
raisons : «l'universelle et incessante action de Dieu dans les êtres créés».
Au service d'une pareille appréciation de Malebranche, l'analyse part
toujours, pour y revenir sans cesse, du livre assurément le plus systématique
de Nicolas Malebranche, les Entretiens sur la métaphysique et
sur la religion. L'approche est thématique, et non chronologique.
L'auteur se livre en outre à un comparatisme plus soucieux des idées et
de leurs convergences que des faits et des sources. La tendance est la
même jusque dans le traitement des rapports de Malebranche à la pensée
de Descartes : Léon Ollé-Laprune est surtout attentif à ce que Malebranche
retient, transforme ou bien rejette de la philosophie proprement
cartésienne ; à cet égard, l'ouvrage n'est pas sans annoncer celui
que Ferdinand Alquié consacrera, plus de cent ans après, au cartésianisme
de Malebranche.