L'Esther tardive de la Bible, fêtée d'âge en âge dans la
tradition juive, trouve son apothéose et sa trahison
dans la pièce de Racine dont va s'emparer Proust pour
décrire et faire parler aussi bien ses «hommes femmes»
que sa mère. C'est également la fameuse prière d'Esther,
empruntée à Racine, que Rachel, l'immense actrice romantique, récite
insolemment aux amis de Chateaubriand et de madame Récamier qui
la pressent de se faire baptiser, elle, la petite juive à moitié illettrée
devenue, à 17 ans, la coqueluche du Tout-Paris. Cependant qu'une
autre actrice du même nom va surgir chez Proust, lequel dépouille injustement
et superbement de son génie la grande Rachel et surnomme
«Rachel quand du Seigneur» la théâtreuse de la Recherche.
Doit-on faire grief à Proust d'avoir ainsi dégradé Rachel ? Certes,
les oeuvres n'ont pas de compte à rendre, elles sont souveraines. Encore
que «les travellings sont affaire de morale», comme le disait Godard.
«L'usage proustien de Rachel m'est apparu comme une question strictement
littéraire, donc comme une affaire de morale», risque à son
tour Elisabeth de Fontenay.