«Un matin, l'envie me prenant de faire une promenade, je mis le
chapeau sur la tête et, en courant, quittai le cabinet de travail ou
de fantasmagorie pour dévaler l'escalier et me précipiter dans la
rue. Dans l'escalier, je fus croisé par une femme qui avait l'air d'une
Espagnole, d'une Péruvienne ou d'une créole, et qui affichait quelque
majesté pâle et fanée.
Pour autant que je m'en souvienne, je me trouvai, en débouchant
dans la rue vaste et claire, d'une humeur aventureuse et romantique
qui m'emplit d'aise. Le monde matinal qui s'étalait devant moi me
parut si beau que j'eus le sentiment de le voir pour la première
fois...»
En racontant tout uniment une journée de flânerie, du matin jusqu'au
soir, entre ville et campagne, Robert Walser donne là son texte le
plus enjoué, le plus désinvolte et le plus malicieusement élaboré.
Changeant sans cesse de perspective, sautant d'un style à l'autre,
poussant parfois la parodie jusqu'à l'abnégation, ce petit journal
sentimental et cocasse, avec son inimitable mélange de naïveté
feinte et de vraie candeur, est non seulement une confession, mais
un véritable art poétique, et un chef-d'oeuvre du nouvelliste.