Depuis la restauration de l'Ordre dominicain par Lacordaire sous la
monarchie de Juillet, trois provinces à l'identité nettement distincte ont
vu le jour dans notre pays. La Province de Toulouse, fondée en 1865 dans
la partie méridionale de la France, de Bordeaux à Nice, a toujours compté
un nombre de religieux moindre que celui de la Province de France. Cette
faiblesse numérique ajoutée à une tenace réputation de province traditionnelle,
repliée sur ses frontières, a contribué à laisser dans l'ombre son histoire
et à perpétuer les idées reçues.
Les auteurs de cet ouvrage, dominicains toulousains en même temps
qu'historiens de formation universitaire, invitent à corriger cette vision.
De Marie-Joseph Lagrange, fondateur de l'École biblique de Jérusalem à
Alexandre Morelli, déporté à Dachau avant de finir sa vie dans les bidonvilles
de Mexico en prêchant la théologie de la libération, en passant
par l'inclassable Raymond-Léopold Bruckberger ou le discret Michel
Labourdette, théologien influent du concile Vatican II, la Province de
Toulouse a suscité nombre de vocations qui interdisent tout jugement
hâtif. De même, le reproche de repli régionaliste doit être pour le moins
relativisé : dès ses débuts, cette province envoie une part significative de
ses religieux comme missionnaires dans les régions les plus reculées du
Brésil avant de faire évoluer le modèle traditionnel de la mission en se
redéployant en Uruguay, au Pérou et en Haïti. Même la Sainte-Baume,
sanctuaire provençal dominicain par excellence, est l'objet de projets d'internationalisation
sous la direction de Le Corbusier ou d'Oscar Niemeyer.
Cette histoire de la Province de Toulouse invite à réfléchir sur ce qui spécifie
l'identité d'une communauté religieuse vouée à la prédication. Comment
ces fils de saint Dominique et de Lacordaire ont-ils, de la fin du
XIXe siècle à la crise sociale et religieuse des années d'après-concile, vécu
et fait vivre, entre respect des règles héritées et ouverture aux exigences de
l'époque, entre vie contemplative et action apostolique, une tradition religieuse
multiséculaire dans laquelle ils puisent pour être, à leur manière,
de leur temps ? Au-delà des crises et des bouleversements de la société
française, dans lesquels les dominicains toulousains occupent toute leur
place, le récit manifeste la récurrence d'une quête, celle d'une articulation
féconde, que chaque génération se doit de réinventer, entre élaboration
intellectuelle et vie spirituelle.