La question musulmane dans la société sénégalaise fait l'objet d'une
longue tradition d'intérêt et de production scientifique. Elle reste toutefois
largement dominée par un vieux débat qui la place entre un projet
islamique de société et un projet républicain d'inspiration moderniste et
occidentalisée.
La nouvelle lecture que nous en propose l'auteur couvre la période
allant de la fin des années 1980 au milieu de la décennie 2000. Sans
négliger le rappel des données sur la longue durée, cette lecture enquête
sur les formes contemporaines de l'attachement à l'islam. À partir d'expériences
spirituelles, d'imaginaires en vigueur, de discours et de comportements,
mais aussi de témoignages et de récits de vie, de l'observation
de la création musicale et cinématographique, le matériau recueilli
révèle de façon surprenante comment la société sénégalaise est en train
d'inventer sa propre modernité politique et religieuse.
Voici une forte démonstration qui cesse de nous enfermer dans
la relation exclusive entre l'État et les marabouts au Sénégal, écrit
J.-L. Triaud dans la préface. Il y est plutôt question d'espaces multiples
et «flottants», avec différentes forces de décomposition, de morcellement
et de recomposition à l'oeuvre. L'auteur préfère passer par l'imaginaire
de la rue plutôt que par les discours officiels. La presse nationale
occupe aussi une place de choix, une presse insolente et indocile,
moderne donc, qui met périodiquement à mal les autorités constituées,
notamment maraboutiques, et dévoile les turpitudes et les connivences.
Cet ouvrage apporte ainsi un renouvellement fécond de nos connaissances,
ainsi que de nouvelles perspectives. Il remet en cause l'idée de
frontières étanches entre deux blocs, celui des «réformistes» et celui
des «confrériques». Devenue trop systématique, cette opposition fait
place aujourd'hui à un régime «d'emprunts réciproques».